Au coeur de l’écriture : l’entaille et le lien

Un éclairage psychanalytique sur la dysgraphie


Evelyne Prieur-Richard
Psychanalyste



1. Au risque de la relation
2. A la racine était l'incise
     2.1 Origine du mot
     2.2 Naissance de l'acte
3. A l'épreuve de la clinique
     3.1 Pour une agressivité plus tempérée
     3.2 Jonathan le résistant
     3.3 Atteindre le père


Au risque de la relation


Ma clinique psychanalytique tissée à ma formation initiale de psychomotricienne m’a conduite, en tant que praticienne en supervision pour psychomotriciens, à effectuer un certain nombre d’observations concernant la problématique de l’écriture, motif de plus en plus fréquent de consultation en thérapie psychomotrice. Ces observations m’ont permis de formuler quelques hypothèses psychodynamiques concernant l’étiologie des troubles graphiques scripturaux.

Sans écarter les aspects neuro-développementaux suffisamment mis en valeur par ailleurs, je souhaite présenter ici mon propre éclairage sur la dimension psychoaffective qui sous-tend parfois ces troubles.

Cette étude se propose d’ouvrir un dialogue avec les différentes recherches en ce domaine, établissant une continuité épistémologique et empirique avec certaines, et rompant avec d’autres. À ce titre, elle invite à un approfondissement de la clinique de l’écriture afin de réfléchir sur le sens dévoilé par le geste et la trace au cours de l’activité humaine éminemment symbolique que représente l’acte d’écrire.

Cet acte singulier engage toute la personnalité du sujet qui s’y adonne. Ne pouvant s’exercer sans une maturation psychomotrice satisfaisante, cet acte nécessite un développement neuro-moteur, tonique, cognitif et psychoaffectif suffisant. C’est pourquoi son apprentissage se situe à la croisée du développement et de la subjectivité de l’enfant.

Cependant, à l’instar de tout acte subjectif, celui-ci convie sur la scène où il se déroule, l’histoire du sujet lui-même par tous les fils qui le relient à son « intime-intimité » ainsi qu’à son environnement le plus immédiat.

Or, relier des lettres entre elles avec sa propre main et un stylo, même sans jouer des pleins et des déliés comme le firent à la plume les générations précédentes, invite inévitablement le sujet à un rendez-vous sur la feuille de papier avec les liens qui le constituent.

Revisiter ces liens et en créer de nouveaux sur un support est un exercice subtil et périlleux. C’est pourtant, entre autres exigences, ce à quoi convoque le geste d’écrire.

Celui-ci ne peut s’effectuer sans une régulation tonique qui implique le membre supérieur certes, mais également l’ensemble du corps.

Le tonus étant soumis à l’impact émotionnel, c’est toute la vitalité affective du sujet qui se trouve requise, notamment lors de l’apprentissage.

Toutefois certaines émotions, ainsi que nous le verrons, trouveront à s’exprimer de manière prépondérante dans le tonus du membre supérieur, directement sollicité par le geste graphique. La motricité fine, spécifique de l’écriture cursive se trouve alors entravée.

La problématique psycho-affective est donc soulevée au moment d’écrire, tant au niveau du corps, par le tonus dont la régulation est essentielle pour effectuer un geste suffisamment fluide et contrôlé, qu’au niveau symbolique, par le fait de laisser une trace signifiante sur une feuille de papier, trace qui plus est, se doit de relier des lettres entre elles. Les hésitations et bégaiements peuvent allègrement advenir …

Des difficultés à contenir et réguler ses émotions, ainsi qu’une ambivalence trop vive pour entrer en relation, peuvent générer toutes sortes de crispations et donner à l’écriture d’un enfant une allure complétement discordante.

Cette distorsion de la graphie rendue quasiment illisible par la formation de lettres ne tenant pas entre les lignes, déstructurées, ou « en pattes de mouche », est un trouble fonctionnel désigné comme dysgraphie et est actuellement répertorié parmi les troubles des apprentissages. Celle-ci, qui peut être associée ou non à une dyslexie, ou plus fréquemment à une dyspraxie, est toujours une souffrance importante pour l’enfant.

Les psychomotriciens et les orthophonistes confrontés au soin à apporter dans ces situations sont la plupart du temps vigilants à ne pas heurter l’enfant en le confrontant violemment à son symptôme. Une approche du corps dans sa globalité puis un abord ludique de la graphomotricité le soutiennent et lui évitent les situations d’échec.

Les coordinations gestuelles, la détente, l’organisation spatiale et l’intégration rythmique sont les éléments spécifiques sur lesquels le psychomotricien va s’appuyer pour remédier aux défaillances ou au retard de développement de l’enfant.

Cependant il arrive fréquemment que, malgré les efforts de chacun, une résistance importante persiste quant à la réduction du trouble. La graphie reste défaillante du fait d’un geste trop crispé, trop mou ou impulsif, et d’une angoisse palpable. Les professionnels savent rapidement qu’il se joue « un autre drame » sur « une autre scène ».

Nous verrons plus loin par des illustrations cliniques, de quelle manière la formation et la mise en relation des lettres entre elles, renvoient l’enfant aux relations régissant la vie des personnes de son entourage, ainsi qu’aux siennes propres.

Ces dernières dépendent évidemment de son niveau d’individuation personnelle et par conséquent de ses capacités à se séparer. La séparation et la relation installant chez les humains que nous sommes, un dialogue incessant tout au long de la vie.

Chez l’enfant, comme chez tout un chacun, se dissimule donc, sous la problématique relationnelle, une difficulté de séparation toujours à démasquer.

La séparation et la relation : un double enjeu à haut risque pour se lancer dans « le vivre », comme dans « l’écrire ».

Consubstantiel au lien se trouve donc « le lâcher » qui n’est pas, comme on le croit parfois, une attitude passive, mais au contraire, une posture bien active, voire : une action.

Lâcher un objet pour le représenter par un mot écrit est un acte fort, décisif, incisif.


À la racine était l’incise


Origine du mot


L’étymologie du mot écrire nous renvoie à son histoire et à son sens. L’écriture est une entaille, une incision. Ecrire appartient à la famille des mots construits à partir de la racine indo-européenne sker qui signifie gratter, inciser, sker venant lui-même de la racine ker : couper (des parts de viande).

Il y a 6000 ans, les supports des premiers écrits étaient la pierre, les cailloux (les calculi) et les tablettes d’argile. Sur ces supports, pour y inscrire les caractères comptabilisant des biens, écrire consistait à gratter ou à inciser. Ces entailles dans la matière ont permis d’inscrire les premières traces de mémoire.

La racine sker a donné en grec ancien skariphos : le stylet, outil qui permet d’écrire, Skariphastai signifiant inciser. On en trouve un dérivé en français dans le mot scarification. Le latin utilise scribere, tracer des caractères, duquel provient écrire en français. Cette racine se retrouve entre autres dans manuscrit, script, scribe, inscription.

Observons le destin d’une autre racine indo-européenne Gerbh qui désigne l’acte de couper, d’entailler. Celle-ci donne en grec graphein qui signifie écrire. Du latin graphium viennent directement en français notre graphisme, nos graffitis ou notre orthographe. La graphie contient donc dans sa racine, tout comme l’écriture, la coupure et l’entaille que le geste génère.

Notons que la racine germanique skor signifiant stylet donne to score : inciser, entailler en anglais, et que la racine germanique wreitan : entailler, inciser donne to write : écrire en anglais.

L’écriture et la graphie gardent donc dans leurs vocables, cette entaille première, empreinte incisive qui pourra se rappeler dans certaines circonstances, notamment à l’enfant aux prises avec la difficulté d’écrire, comme une sorte de souvenir inconscient inscrit dans le corps de la lettre à tracer.

Naissance de l’acte


L’homme préhistorique a commencé à peindre et à graver il y a 40 000 ans. Même si l’on est extrêmement ébloui par l’art rupestre et par les représentations pariétales, cette expression figurative, qui à son origine associait phonation et graphie, était directement liée au langage et beaucoup plus proche de l'écriture que de l'oeuvre d'art. On parle dans ce cas de « proto-écriture ».

Toutefois, l'écriture à proprement parler est née il y a 6000 ans dans deux contrées voisines, la Mésopotamie et l'Egypte, de manière presque simultanée mais différenciée.

Celle-ci était devenue, avec le développement d'un système de société hiérarchisée, l'existence d'un pouvoir centralisé, et l'émergence des religions, une véritable nécessité.

Les temples, centres de pouvoir religieux mais aussi administratif, avaient dû s'organiser, comptabiliser et mesurer. Les échanges commerciaux entre villes et contrées se multipliant, il avait fallu formaliser les actes de ventes.

Les "calculis", ancêtres de nos factures, avaient assez vite été remplacés par des tablettes d'argile dont le format permettait d'indiquer le propriétaire d'un bien, ou d'inventorier des marchandises.

L'écriture est apparue là où il existait déjà depuis un certain temps, un État organisé avec des institutions politiques et religieuses.

Il ne put y avoir d'écriture, de représentation de cet invisible que sont les actes mentaux de nomination et de numération, qu’au moment où les humains accédèrent à une représentation des dieux invisibles.

Les hommes s’élevèrent du concret pour parvenir à l’abstrait et au spirituel. Ils purent représenter leurs contrats, leurs lois, leurs croyances. Ils avaient structuré le symbolique et enrichissaient leur culture.

Représenter : « rendre présent, mettre devant les yeux », « rendre présent ce qui est absent », est un mot construit à partir du préfixe re- qui apporte une valeur intensive au radical preasentare, et constitue une des fonctions premières de l’écriture : « rendre présente une chose, une personne, une action, à l’aide de signes tracés qui sont des symboles ».

Un dessin peut tout autant représenter un objet mais il utilise la figuration, l’image. Du dessin à l’écriture le saut est immense, et il n’y a pas nécessairement continuité entre ces deux gestes graphiques, car l’écriture, par l’utilisation des lettres et des mots se situe du côté du langage, des symboles.

Un enfant sait parfois remarquablement dessiner alors qu’il souffre d’une sévère dysgraphie. À contrario, une personne peut n’avoir aucune difficulté d’écriture, et se montrer piètre illustratrice.

Dans l’acte d’écrire, le sujet est convoqué à effectuer un geste qui entaille la réalité physique et lui permet d’accéder à un nouveau langage, qui porte un coup à la concrétude et à la figuration pour s’élever dans un registre de langue différent de celui de la parole et de l’image.

Même si aujourd’hui, écrire n’est plus inciser des stèles de pierre, des plaques de bronze, ou des tablettes d’argile, pas plus que tracer des hiéroglyphes sur du papyrus, même si aujourd’hui l’on n’utilise ni styles en os ou en fer, ni même calames ou plumes, le geste de tirer un stylo sur le papier afin d’y laisser un trait qui soit symbole, n’en engage pas moins l’ensemble du corps, ainsi qu’une maîtrise de l’agressivité pour le sujet qui l’accomplit.


À l’épreuve de la clinique


Pour une agressivité plus tempérée


J’ai constaté à d’innombrables reprises, en écoutant des psychomotriciens en supervision évoquer la régulation tonique chez un enfant présentant un trouble praxique mettant en jeu l’écriture, que bien souvent, il s’agissait avant tout de l’aider à tempérer son agressivité, soit en lui permettant de l’exprimer, ce qui diminuait la tension chronique à l’œuvre, soit en l’aidant à la contenir lorsque celle-ci débordait de tous côtés.

Cela concerne souvent des garçons en période de latence, chez lesquels une activité pulsionnelle importante se joue dans la musculature, et particulièrement dans la musculature des membres. Le foot leur permet de soulager des tensions excessives dans les jambes, mais épaules, bras et mains restent la plupart du temps saisis par une excitation qui trouve peu d’exutoire.

Cet envahissement pulsionnel, alimenté par une libido circulant dans les membres, s’étaie sur un soubassement affectif empli de colère, voire de rage, qui n’a pas trouvé d’autres moyens pour se dire ou qui n’a pas pu être entendue.

Le membre supérieur est alors tendu, et davantage prêt à frapper ou à décharger une exaspération, qu’à effectuer un geste fin qui nécessite un contrôle important. En bref, mettre un coup de poing dans la figure d’un ennemi correspondrait davantage au tonus du membre de l’enfant concerné, que tracer des boucles et relier des lettres entre deux lignes.

L’ennemi en question est bien souvent le frère cadet ou aîné, et il faut peu de temps au professionnel averti pour le repérer. Mais il s’agit parfois de figures adultes de l’entourage, dont les conflits pèsent sur la vie affective de l’enfant : conflits au sein du couple parental, ou entre parents et grands-parents par exemple. Dans ce cas, l’enfant subit la situation sans pouvoir intervenir. Seul son corps crispé peut dire quelque chose de ce qu’il ressent, et tenter de participer « à la bagarre ».

On oublie trop souvent combien le corps de l’enfant est le premier réceptacle de tout ce qui circule émotionnellement autour de lui, et combien le corps en général, chez chacun d’entre nous, êtres d’âme et de chair, imprime et retient nos émois actuels ou passés.

Notre corps - à l’instar de notre psyché - se souvient, s’exprime, et déprime. Il est le siège premier de notre inconscient et en conserve tous les conflits et les désirs. L’enfant, dont la parole est empêchée chaque jour de nommer la peine et l’agacement que lui procure son aîné ou son puiné, garde dans son bras - ce qui dans un premier temps ne dérange personne – la mémoire silencieuse de sa tristesse et de son irritation.

Lorsqu’un psychomotricien reçoit en consultation un enfant présentant un trouble graphique sévère, et qu’il perçoit rapidement qu’aucune rééducation graphomotrice, même abordée dans une démarche corporelle globale, ne viendra à bout du symptôme, car l’enfant « traumatisé » par les tentatives antérieures douloureuses, refuse obstinément tout geste graphique, alors le professionnel se devra de le rencontrer par le jeu spontané ou en utilisant une médiation thérapeutique qui offre à l’enfant la possibilité de dévoiler le sens de ce qui préoccupe son membre supérieur.

L’enfant saura répondre à cette proposition car il connaît l’objet de la consultation et souhaitera que cesse la souffrance que représente pour lui l’acte d’écrire. Le psychomotricien ne doit pas l’adresser à un autre professionnel pour une psychothérapie car cela « brouillerait les pistes » et diluerait le transfert en cours, en lui faisant perdre de sa vitalité.

Le psychomotricien est un thérapeute qui entre en relation avec son patient dans un dialogue essentiellement tonico-émotionnel et tonico-moteur.

L’intervention sur le soubassement psychoaffectif de la tonicité et de la motricité relève de ses prérogatives thérapeutiques, lorsqu’il ne se considère pas uniquement du côté de la rééducation. Il n’a en général aucune difficulté à repérer l’agressivité mal contrôlée ou l’affect de colère d’un enfant. Mais souvent, il ne sait pas comment l’aider à faire évoluer cette émotion, ni comment l’amener à construire un comportement plus adéquat avec les exigences de son âge, et le contexte dans lequel il évolue.


Jonathan le résistant


Je présenterai rapidement l’histoire de Jonathan qui, accueilli en C.M.P.P. à l’âge de 7 ans à la suite d’un diagnostic de dysgraphie posé par un centre de référence, a été accompagné en thérapie psychomotrice jusqu’à ses 10 ans. Enfant vif et intelligent, Jonathan présente à l’entrée au cours élémentaire une écriture illisible qui devient de plus en plus rare car sa lenteur excessive rend difficile tout travail écrit sur le temps scolaire.

Sa rage se transforme peu à peu en agitation et en provocation, puis en arrogance. Il se met à défier les adultes de l’école, enseignante, directrice et toute assistance à la vie scolaire, en refusant progressivement de produire un quelconque écrit manuscrit. En revanche, il accepte l’aide qui lui est proposée d’une adaptation de son travail à l’ordinateur. Il en fait même une fierté, méprisant ses camarades, ce qui le rend encore plus insupportable.

En trois années de thérapie, il n’aura laissé au psychomotricien aucun écrit, en dehors de mots ou de phrases d’insultes tracés à la va-vite sur un tableau, sitôt tracés sitôt effacés. Toutes les séances se sont déroulées de la même manière, mais les scénarios de ses jeux se sont construits et affinés au fil du temps, lui permettant d’apporter des nuances à la conflictualité rageuse du début.

Le déroulement des séances fut le suivant :

- Entrée fracassante dans la salle, coup de pied dans la porte, coup de poing dans le tableau situé à droite de la porte. Ceci pendant trois ans. Même si la conviction s’étiolait, le geste persistait : « On n’est pas là pour rigoler ». Certes !

- Apostrophe violente au psychomotricien : « Alors qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui, rien, comme d’habitude? »

- Après cette entrée, tambour battant dans le saloon, le cowboy redevenait tout-petit, se posait sur le tapis et faisait rouler des petites voitures avec des sonorisations de pompiers, de police ou de camions-poubelles comme un enfant de 2 ou 3 ans peut le faire.

Le psychomotricien dut attendre une année après le début de la thérapie pour réussir à entrer dans le jeu, introduisant des figurines qui complexifièrent le scénario premier.

- Avec l’arrivée de ces nouveaux personnages le thérapeute commença à comprendre quel drame se déroulait sur la scène psychique, tonique et motrice de Jonathan.

Plusieurs rencontres avec ses parents, et un maillage avec le travail du consultant qui recevait la famille régulièrement, lui permirent d’entendre la détresse de cet enfant de 2 ans et demi, placé chez ses grands-parents paternels au moment de la naissance prématurée de son petit frère Tom, qui se trouvait entre la vie et la mort.

Durant les longues semaines d’hospitalisation du nouveau-né, Jonathan resta chez ses grands-parents qu’il aimait beaucoup. Il ne rentra chez lui que lorsque son petit frère fut tiré d’affaire. Celui-ci ayant besoin d’une attention redoublée, les parents épuisés négligèrent leur fils aîné bien portant.

Peu de temps après, son grand-père décéda subitement, et des conflits majeurs se déclarèrent entre sa mère et sa grand-mère. Des problèmes de succession vinrent troubler la relation belle-mère-belle-fille ainsi que l’entente convenable qui régnait entre les membres de la famille. Jonathan ne revit sa grand-mère et ses cousins dont il était très proche, qu’à de rares occasions.

En séance, Jonathan, vautré à même le sol, jouait à loisir les bagarres qui dégénéraient, les secours d’urgence, ainsi qu’un ordre extérieur qui remettait tout ça en place.

Les conflits, l’entre-dévoration, la violence et la disparition se vivaient de manière cathartique avant que l’arrivée du soin et du tiers régulateur ne lui apporte un peu de réconfort et d’apaisement.

- La dernière partie de la séance se déroulait ensuite dans un redoublement de furie avec un « pseudo match de foot » truffé d’insultes, puis un passage par le tableau à la demande du psychomotricien. Du balayage et des gribouillis rageurs du début Jonathan est parvenu ensuite à tracer quelques mots : des insanités que le psychomotricien avait à peine le temps d’apercevoir.

Une psychothérapie aurait permis une autre élaboration des conflits engagés - conscients pour certains, et grandement refoulés pour d’autres - Elle aurait accompagné l’enfant à avancer dans le travail de deuil de ce grand-père et aurait davantage soutenu la parole de l’enfant.

La thérapie psychomotrice, elle, a proposé une aire de jeu pour aborder le dialogue « corps-psyché » et a aidé cet enfant à lâcher sa hargne destructrice, en évitant qu’il ne s’effondre dans une dépression qui eût été tout autant dommageable. Elle n’est pas intervenue sur les contenus délivrés mais elle a autorisé le mouvement régrédient de l’enfant vers cette période de ses 2 ans et demi, période précédent le drame et le début du déclenchement de sa « colère sans borne ».

Colère contre son frère, colère contre sa mère et sa grand-mère, et colère contre son père qui ne faisait rien pour arranger cela (comme le psychomotricien d’ailleurs : « Ici, on ne fait jamais rien »).

Ces allers et retours entre moment de régression bienfaisante et haine explosive ont pu s’élaborer par la motricité et les variations toniques.

Grâce aux séances de psychomotricité où ni crayon ni papier n’ont jamais été utilisés, Jonathan a pu jouer toutes les gammes de son agressivité et la médiatiser afin de la tempérer.

Il a pu ainsi retrouver la possibilité de modifier son tonus, et a relâché ce poing tendu qui l’empêchait de découvrir toute les ressources d’une main déployée, une main qui possède cinq doigts avec lesquels on peut s’amuser.

Il a pu tenir enfin un stylo pour former des boucles que l’on peut faire et défaire selon ses désirs. Il a pu relier des lettres, lui qui avait grandi dans cet univers de rupture de liens.

L’écriture cursive ne ment pas. Si le clavier de l’ordinateur, sur lequel toutes les lettres sont séparées, éloignées, éclatées, permet aux enfants dysgraphiques de rassembler ces morceaux épars de leurs vies, ces brisures signifiantes que l’entourage a oublié ou négligé, la cursive, « l’écriture en attaché » comme disent joliment les enfants, connaît la vérité des liens et la tranquillité affective nécessaire pour attacher les lettres et donner du sens à la trace.

Pour en conclure avec l’accès à la trace signifiante et au symbolique chez Jonathan qui, à 10 ans, n’avait plus aucune difficulté d’écriture, je raconterai sa dernière entrée dans le saloon. Brandissant un billet acheté sur internet et imprimé, voilà notre cow-boy hurlant à son thérapeute qu’il allait le week-end prochain au Parc Astérix avec son père et ses cousins !

« Avec tes cousins ? » « Bah oui, y’en a marre de la guerre avec les Romains tu crois pas ? » (Son cousin préféré se prénommait Romain) « Et tu sais quoi ? Avec mon père on a réussi à persuader ma mère de venir avec nous. »

Sacré Jonathan-Astérix ! Vaillant guerrier et irréductible Gaulois qui ne voulait décidément rien lâcher …

Atteindre le père




Albane, …




Maxence, …